Droits voisins et agences de presse

Cette semaine nous avons eu l’honneur de rencontrer Madame Florence Braka Directrice de la Fédération Française des Agences de Presse (FFAP) pour discuter d’un sujet qui nous tient à coeur, celui des droits voisins. Elle accompagne depuis de nombreuses années les différentes entreprises du secteur des agences de presse sur le plan juridique.

Dans cet échange, Florence Braka décortique la naissance et les enjeux autour des droits voisins. Une interview riche en connaissances qui retrace l’histoire d’un combat initié en 2012 et qui n’a pas été vain.

 

Pouvez-vous nous expliquer la notion de droits voisins ? En quoi concernent-ils les agences de presse ? 

Le droit voisin du droit d’auteur vient principalement protéger des investissements. Il récompense la société pour son initiative et sa responsabilité dans ses productions. Il vient rééquilibrer la chaîne de valeur afin de créer les conditions d’une concurrence équitable.

Depuis 1985, des droits voisins sont venus protéger et garantir des moyens d’existence aux artistes interprètes, aux producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes, ainsi qu’aux entreprises de communication audiovisuelle, dans le but d’encourager la création française. Cette protection est de 50 ans.

Pour les agences de presse et les éditeurs de presse, il a fallu attendre 2019 pour bénéficier également d’un droit voisin. La durée de protection est plus courte, elle n’est que de deux ans dans la mesure où le législateur européen a voulu protéger l’actualité « chaude ».

Comment l’ère du numérique a-t-elle boulversé cette notion en atteignant le contenu photographique ? 

Les agences de presse fournissent des informations, sous toutes formes, aux éditeurs de presse principalement, de manière exclusive ou pas et pour une durée limitée. Ces licences concédées par les agences de presse aux éditeurs de presse n’emportent pas le droit pour un moteur de recherche ou un agrégateur de contenu de les reproduire séparément sur ses pages.

Les moteurs de recherche en particulier, reproduisent et diffusent comme libres de droits sur leurs propres pages, des millions de textes, de photographies, de vidéographies, sans licence, et qui causent de ce fait un préjudice patrimonial considérable aux agences de presse et à leurs auteurs. Ces moteurs de recherche sont devenus de véritables banques d’information, en exploitant un contenu qu’ils n’ont pas créé. Ce droit voisin doit en conséquence couvrir toutes les activités d’intermédiation dans la communication au public des contenus des agences, y compris les activités des agrégateurs et moteurs de recherche dans la mesure où ceux-ci retirent des bénéfices de ces activités de façon directe (commercialisation des liens par les agrégateurs) ou indirecte (captation de l’audience, conservation de l’internaute dans l’écosystème du moteur de recherche, rémunération du moteur par la publicité réalisées sur les services connexes pour les moteurs) sans assumer la charge des investissements nécessaires à la production journalistique qu’ils exploitent.

Il y a donc une captation de la valeur par les plateformes internet sans contrepartie financière pour les créateurs de contenus qui aboutit à une véritable spoliation.

Entre 2012 et 2020 par exemple, le nombre d’agences de presse photographiques en France est passé de 80 à 45 et leur chiffre d’affaires a baissé de 32%.

La première proposition de loi pour reconnaitre un droit voisin pour les éditeurs et agences de presse date de 2012.

Mais à l’époque, François Hollande, tout juste élu président de la République, n’a pas souhaité donner une suite favorable à ce texte et a confié une mission au cabinet Mazars, pour trouver un compromis financier entre Google et la presse IPG (presse d’information politique et générale).

Mission accomplie au début de l’année 2013 avec la création d’un fonds d’aide de 60 millions d’euros sur 3 ans.

La FFAP a condamné cet accord qui d’une part, ne concernait qu’une partie des acteurs concernés et d’autre part, ne correspondait pas au droit auquel nous aspirions.

C’est en 2016 que tout s’est accéléré avec le projet de directive présenté par la Commission européenne et le combat mené par Jean-Marie CAVADA, à l’époque député européen, pour la création d’un droit voisin pour les agences et les éditeurs de presse. Après 3 ans de combat, le 17 avril 2019, une directive européenne sur les droits voisins a vu le jour. Elle a été transposée le 24 juillet 2019 en France.

Quel a été l’impact de ce conflit dans la législation française et européenne ? 

Après la transposition de la directive. Fin 2019 deux organisations professionnelles d’éditeurs, ainsi que l’AFP, ont saisi l’Autorité de la Concurrence (ADLC) contre Google pour abus de position dominante. Dans une première décision le 9 avril 2020, l’autorité a formulé des injonctions à Google, notamment celle de conclure des accords avec les ayants droit qui le demandaient dans un délai de trois mois. Les saisissants n’ayant pas eu gain de cause, ils ont saisi une nouvelle fois l’ADLC pour non-respect des injonctions. La FFAP, qui était également en négociation avec Google depuis juillet 2020 a été entendue comme témoin au début de l’année 2021.

Le 12 juillet 2021, l’ADLC a condamné Google à 500 millions d’euros d’amende.

Cette sanction a eu pour effet de relancer les négociations avec Google pour l’ensemble des ayants droit, les 3 saisissants ont signé des accords entre fin 2021 et juin 2022.

La décision au fond est intervenue le 21 juin 2022 et s’est conclue par des engagements de Google dans le secteur de la presse.

De notre côté, nous poursuivons toujours les négociations avec Google.

Qu’en est-il des autres pays ? (US)

Le droit voisin concerne tous les pays de l’UE, certains pays ont déjà transposé la directive. La France est le pays qui a transposé le plus rapidement.

Si les droits voisins ne sont pas respectés, que prévoit la loi ?

La loi ne prévoit rien. C’est la raison pour laquelle l’ADLC a été saisie.

Cependant, désormais, en cas de conflit entre Google et un ayant droit, les parties pourront faire appel à un mandataire [indépendant agréé par l’Autorité, ndlr], dont les avis s’imposeront à Google, et qui pourra se faire aider d’experts aussi bien en propriété intellectuelle, qu’en finance ou en matière de presse ou de publicité ». S’il le faut, le recours à un « tribunal arbitral dont les frais seront supportés par Google » pourra être saisi.

Google a été condamné à une amende, à qui profite-t-elle ?  

L’amende vient abonder le budget de l’Etat.

Les éditeurs et les agences de presse sont-ils égaux face à la problématique des droits voisins ?

Oui et non. Oui aux yeux de la loi ils sont égaux. Mais ils ne sont pas égaux dans la pratique car il est plus facile pour les éditeurs de savoir ce que Google est venu chercher sur leurs serveurs grâce aux URL. Ce n’est pas le cas pour les agences de presse qui fournissent du contenu aux éditeurs, pour lequel il n’y a pas d’URL.

C’est pourquoi, Google a pendant longtemps (jusqu’aux décisions de l’ADLC) considéré que rémunérer les agences de presse, c’était le faire payer deux fois. Quoiqu’il en soit, les accords conclus par Google sont des forfaits et non pas des montants assis sur une rémunération proportionnelle. Généralement, ces accords comprennent une rémunération droits voisins, une autre concernant des accords commerciaux, et enfin une dernière « settlement fee ».

En octobre 2021, la société des Droits Voisins de la Presse (DVP) a été créée pour accompagner les agences de presse et les éditeurs dans la valorisation de leurs droits voisins auprès de tous les redevables et notamment les grandes plateformes. C’est Jean-Marie CAVADA qui a été élu à la tête de cet organisme.

Quels seront vos prochains combats ? 

Tout d’abord, mener jusqu’au bout les négociations avec Google et obtenir grâce au DVP une rémunération équitable pour les agences de la FFAP avec l’ensemble des redevables.

Veiller de manière générale que ce droit voisin soit respecté par l’ensemble de ceux qui utilisent les contenus des agences de presse.

logo abaca vecto